La Sénatrice LR défendant ses amendements en commission ©PatriciaDemas
Depuis plusieurs années, le déploiement de la fibre est freiné par des désordres survenant dans la dernière partie du raccordement, essentiellement réalisée par une chaîne de sous-traitants, parfois peu formés. Ces désordres sont dénoncés par les élus vers lesquels les usagers ont spontanément tendance à se tourner quand ils sont en panne de connexion. Des pannes qui peuvent durer …Face à cette situation constatée partout sur le territoire, le Sénat a pris l’initiative, et une proposition de loi a été déposée et cosignée à l’été 2022 par le sénateur de l’Ain et président du groupe Numérique Patrick Chaize.
Au terme de deux semaines denses d’auditions et de réflexion, Patricia Demas a présenté hier matin son rapport en Commission, avec une vingtaine d’amendements au texte dans un souci constant de créer des solutions équilibrées, souples et pragmatiques.
Elle propose donc de :
➤ créer un délai limite de réparation opposable aux opérateurs, au profit des consommateurs et collectivités ;
➤ créer un label qualité obligatoire pour tous les intervenants, et la remise d’un certificat de conformité avec des documents contractuels ;
➤ clarifier les responsabilités en cas de problème, en étoffant les missions du guichet unique prévu pour gérer les difficultés de raccordement, avec l’émission d’un « ticket d’échec au raccordement » qui permet une meilleure traçabilité de la gestion des incidents et d’ouvrir des droits aux usagers en cas d’interruption du service internet.
➤ renforcer les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’autorité compétente l’Arcep
L’exposé des motifs de la proposition de loi sénatoriale
La France peut réussir l’un des plus grands plans industriels qu’ait connu notre pays ces 20 dernières années : celui du déploiement de la fibre optique. Grâce à une initiative de l’État central et des collectivités, le Plan France Très Haut Débit, et avec la participation des opérateurs et industriels, plus de 80% des Français seront raccordables à la fibre optique d’ici la fin de l’année. Et pour les autres, ce devrait être fin 2025 ou courant 2026 pour les cas les plus complexes à desservir, selon des mesures complémentaires à venir.
La France est en pointe en Europe pour les déploiements, et les abonnés plébiscitent cette technologie en s’abonnant massivement. Mais cette réussite se transforme progressivement en échec essentiellement du fait du mode de raccordement des abonnés. Les derniers mètres, qui sont les premiers mètres vus de l’abonné, ruinent l’image du Plan et sapent la résilience de ce réseau essentiel.
Abonnés régulièrement débranchés au profit d’autres abonnés, dégradation des habitations des clients et des équipements de réseaux (armoires de rue, points de branchement optique…), déchets de travaux laissés sur place, conflits entre clients et raccordeurs… La liste est longue et non exhaustive. Les dégradations se rencontrent partout, y compris sur des réseaux que les opérateurs considèrent comme étant « peu accidentogènes », et certains problèmes graves ne se verront qu’à terme (mauvaises soudures, câbles endommagés ou soumis aux intempéries, pose instable, documentation erronée…).
Pour les opérateurs, la priorité est la migration de leurs clients DSL vers la fibre et l’acquisition de nouveaux clients, peu importe finalement la qualité : il suffit que la connexion fonctionne ! Aussi, leur lecture de la situation est très différente de celle des élus : les dégradations ne sont pas un souci, en revanche, le fait de ne pas pouvoir raccorder leurs clients est le problème à régler. Cette difficulté est réelle, mais limitée à certains réseaux déployés en mode low cost : fibre de mauvaise qualité, sous dimensionnement par rapport à l’urbanisation locale, boitiers disposés loin des clients à raccorder, routes optiques fausses… Ces problèmes circonscrits sont identifiés et font l’objet d’une enquête administrative de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), qui devrait conduire à des sanctions ainsi qu’au redéploiement des réseaux concernés.
En revanche, les problèmes liés aux raccordements finals aux réseaux à très haut débit en fibre optique sont universels, et se rencontrent également sur les réseaux parfaitement déployés, qui représentent la très large majorité des réseaux construits en métropole et en outre-mer. Ces dégradations systématiques et ces dysfonctionnements récurrents peuvent priver les internautes de leur accès à Internet pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. La médiatrice des communications électroniques l’a souligné dans son rapport annuel pour 2021, notant l’émergence de “naufragés de la fibre” : “Ce nouveau réseau qui est en cours de déploiement partout en France rencontre notamment des difficultés qui sont dues à la rapidité même de cette construction, aux malfaçons et à l’insuffisance de formation des intervenants à laquelle s’ajoute la pénurie de main-d’œuvre”. Des collectifs et associations d’abonnés mécontents se constituent sur cette thématique. Certains opérateurs d’infrastructures optiques signalent jusqu’à 100% des armoires dégradées, 75% des prises optiques mal posées. Les médias locaux et nationaux, ainsi que les réseaux sociaux regorgent d’exemples plus aberrants les uns que les autres de raccordements défiant toute logique, avec des câbles qui traversent des routes, courent sur l’herbe, sont accrochés à des branches ou des gouttières… sans que cela n’émeuve les opérateurs responsables de ces aberrations, puisque malgré tout, “ça fonctionne” !
Fibre optique ©EDM
Pourquoi ne rencontrons-nous pas ce genre de problème dans les autres pays européens ? En France, les quatre grands opérateurs nationaux ont formulé une exigence auprès du régulateur : pouvoir raccorder eux mêmes leurs clients, indépendamment de l’opérateur d’infrastructures qui a construit le réseau optique en domaine public. Motifs avancés : éviter de doublonner les rendez-vous (un pour la pose de la prise optique, l’autre pour le branchement de la box), s’assurer de réussir “l’expérience utilisateur” et limiter les risques concurrentiels lorsque le déploiement est assuré par un opérateur d’infrastructures qui est aussi opérateur commercial.
L’Arcep a ainsi accepté, dans sa réglementation, de prévoir un mode dérogatoire au mode traditionnel de raccordement par l’opérateur
d’infrastructures, celui qui a construit le réseau dans le domaine public : le mode « STOC » pour « sous-traitance à l’opérateur commercial », spécificité française unique au monde, dans lequel c’est le fournisseur d’accès internet auprès de qui l’abonné a souscrit une offre qui construit cette partie importante et délicate du réseau, que celui-ci soit privé ou d’initiative publique. Or ce mode dérogatoire est en fait devenu la règle et, si certains fondements peuvent sembler louables, il apparaît clairement qu’ils ont été totalement dévoyés dans la mise en œuvre : les rendez-vous se multiplient du fait des échecs, l’expérience utilisateur est souvent tellement mauvaise que certains clients préfèrent retourner à l’ADSL et, surtout, les réseaux sont dégradés et donnent, s’agissant de ceux déployés par la puissance publique avec force subventions, y compris pour les raccordements finals, l’image d’un gaspillage d’argent public.
Pour l’abonné victime, ce découpage entre opérateurs commerciaux, via une cascade de sous-traitants, et opérateurs d’infrastructures est incompréhensible. Il conduit à une dilution des responsabilités, qui le laisse trop souvent démuni face à des interlocuteurs qui se renvoient la balle. Pour autant, les règles actuelles font que les opérateurs commerciaux nationaux (OCEN) obtiennent toujours, dès lors que le raccordement final fonctionne et quand bien même sa réalisation peut être la pire qui soit, le paiement dudit raccordement. Les opérateurs d’infrastructures sont bien en peine d’imposer des règles strictes à leurs soi-disant « sous-traitants » pour le raccordement final, dans la mesure où ceux-ci sont avant tout leurs clients, pratiquement réduits au nombre de quatre en France.
La filière s’était engagée, début 2020, à mettre un terme à ces pratiques dénoncées depuis 2017 par les collectivités territoriales. Force est de reconnaître l’échec complet de celle-ci à remédier aux problèmes rencontrés, malgré les grandes promesses alors faites. Les dégradations se multipliant, les raccordements finals étant de plus en plus mal réalisés et, s’agissant des réseaux publics, les collectivités étant obligées de continuer à verser directement ou indirectement les subventions à ces opérateurs commerciaux, pour des mauvais raccordements et dégradations de biens publics. S’agissant des réseaux privés, de nombreuses collectivités ont dû mobiliser des moyens et prendre des mesures face aux situations délicates de leurs administrés privés d’accès à Internet, alors qu’il ne s’agit pas de leur projet et que le pouvoir de police spéciale des communications électroniques appartient selon le Conseil d’État, à l’Arcep et à l’Etat.
Le mois dernier, la Présidente de l’Arcep a reconnu publiquement qu’il n’y avait pas véritablement d’améliorations malgré les actions
engagées. Aussi, avec ce constat d’échec, il est temps que le législateur reprenne la main pour fixer les règles, tout en souhaitant que les acteurs de la filière poursuivent leurs discussions de mise en œuvre. Il faut mettre un terme définitif aux pratiques actuelles, obtenir la remise en état des réseaux dégradés aux frais des responsables, ce qui suppose de donner les moyens à l’Arcep, aux collectivités et à leurs prestataires, de contrôler et sanctionner tout manquement aux règles de l’art, afin de faire du Plan France Très Haut Débit ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : une pleine et entière réussite française !
Cinq articles afin d’assurer la qualité et la pérennité des réseaux à très haut débit en fibre optique
Article I
L’article 1er vise à autoriser la personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications
électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final visée à l’article L.34-8-3 du code des postes et communications électroniques (l’opérateur d’infrastructures FttH), à confier la réalisation du raccordement permettant de desservir cet utilisateur final à un opérateur qui en demande l’accès dans les conditions fixées par l’article précité et à en définir les modalités dans des conditions non discriminatoires. Ainsi, elle pourra notamment préciser le nombre maximum de rangs de sous-traitance, les règles de prévenance pour les interventions, les exigences relatives à la qualification des intervenants et aux comptes rendus d’intervention, etc.
Ce raccordement sera réalisé sous la responsabilité de la personne visée à l’article L.34-8-3, qui aura l’obligation de mettre en place un
guichet unique permettant d’assurer la prise en charge des difficultés rencontrées par les utilisateurs finals dans la réalisation de leur
raccordement et dans le respect, le cas échéant, du code de la commande publique.
Par ailleurs, l’intervenant en charge du raccordement devra remettre à l’utilisateur final un certificat de conformité dont les conditions sont fixées par voie règlementaire. Il s’agit ici de mettre en œuvre un mécanisme de conformité similaire au mécanisme applicable en matière d’installation de gaz intérieure. Ainsi, s’agissant des installations de gaz intérieures, soit l’entreprise est un Professionnel du Gaz : elle est régulièrement contrôlée et elle peut délivrer un certificat. Soit l’entreprise n’est pas un Professionnel du Gaz et le certificat est délivré par un tiers qui vient vérifier les travaux.
Par ailleurs, afin de s’assurer que les règles imposées par la personne visée à l’article L.34-8-3 sont suffisamment contraignantes, il est prévu que cette dernière soumettra un projet de cahier des charges à l’avis de l’Arcep et publiera en ligne ce cahier des charges.
Enfin, il est prévu que la personne visée à l’article L.34-8-3 garantisse à l’utilisateur final, la bonne réalisation des raccordements et que
l’utilisateur final pourra se prévaloir du cahier des charges précité. Il s’agit ici d’assurer à l’utilisateur final des moyens d’obtenir réparation de son préjudice du fait de manquements dans la réalisation de raccordements.
Techniciens installant des armoires à fibre optique ©poungsaedeco
Article II
L’article 2 vise à garantir que le titulaire d’un contrat de la commande publique s’assure effectivement de la bonne réalisation des raccordements au réseau en fibre optique qui lui est confiée et propose à cet effet qu’au titre de l’exécution d’un marché public, d’une concession et d’un marché ou contrat de partenariat, le versement du prix ou d’une subvention pour compensation d’obligation de service public relatif à la réalisation d’un tel raccordement soit conditionné à la vérification par l’acheteur public ou le concédant, du certificat de conformité visé à l’article précédent.
Article III
L’article 3 propose de ne pas autoriser la possibilité pour la personne visée à l’article L. 34-8-3 de confier la réalisation du raccordement final à l’opérateur commercial qui demande l’accès au réseau FTTH dans les zones ayant obtenu le statut de « zone fibrée ». En effet dans ces zones, le code de la construction et de l’habitation permet que les constructions neuves ne soient pas équipées en réseau cuivre. Il apparaît donc indispensable, au regard de l’intérêt général que présentent les réseaux en fibre optique, malgré l’absence pour l’heure de service universel sur ce type de réseau, que la maîtrise d’ouvrage du raccordement final soit unifiée auprès de la personne visée à l’article L. 34-8-3.
Article IV
L’article 4 propose de renforcer, par plusieurs moyens, les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Arcep sur tous les opérateurs intervenant sur le réseau, d’abord en codifiant dans le code des postes et des communications électroniques le fait que l’Arcep et le gouvernement exercent un pouvoir de police spéciale des communications électroniques, comme l’affirme le Conseil d’Etat dans sa jurisprudence, puis en renforçant les pouvoirs de contrôle technique de l’Arcep en matière de réseaux en fibre optique et ses pouvoirs d’astreinte et, enfin, en lui octroyant des pouvoirs spécifiques sur la qualité des raccordements des utilisateurs finals aux réseaux en fibre optique.
Article V
L’article 5 vise à renforcer les droits des consommateurs face aux effets désastreux des coupures prolongées d’accès à internet et aux
débranchements sauvages dans les armoires de rue, en prévoyant, en premier lieu, la suspension de toute demande de paiement de l’abonnement par le fournisseur d’accès à internet au-delà d’un premier délai de coupure, l’indemnisation du consommateur au-delà d’un deuxième délai – plus long de coupure – et, en dernier lieu, la possibilité pour le consommateur de résilier l’abonnement au-delà d’un troisième délai. Dans tous les cas, afin de permettre au consommateur de ne pas être captif de son fournisseur d’accès internet défaillant, il est proposé que toutes les sommes dues par ledit fournisseur au consommateur doivent lui être remboursées, à l’exclusion de tout avoir sur d’éventuelles factures ultérieures.