Mai-Anh Ngo avec son entraineur et sa médaille de championne de France. (© Mai-Anh Ngo)
Sept records mondiaux, trois médailles de bronze aux championnats du Monde et d’Europe, le palmarès de Mai-Anh Ngo est impressionnant ! Et la salle des trophées va s’agrandir avec ce titre de championne de France de para karaté kata. En plus de sa brillante carrière sportive, l’athlète est aussi dans le civil, une ingénieure de recherche reconnue au CNRS. Auteure d’un livre sur ses recherches intitulé : « Handicap, droit et bien-être ». Elle revient sur ce titre, son parcours ainsi que sur l’évolution de la pratique sportive pour les personnes en situation de handicap.
Benjamin Brudno – Pouvez-vous nous expliquer votre discipline, le para karaté kata fauteuil ?
Mai-Anh Ngo – C’est une discipline relativement récente. Cela fonctionne comme le karaté́ kata valide, mais cela nécessite des adaptations sur les mouvements, notamment dans les sauts et les coups de pieds…. Selon les degrés de handicap, on adapte la technique. Pour les coups de pieds par exemple, on fait du deux-roues quand on est de face. C’est une discipline jeune, créative, avec aussi un coté mécanique et la mémoire musculaire propre aux arts martiaux.
C’est votre tout premier titre dans cette jeune discipline ?
Oui, c’était même un baptême de feu, ma première compétition nationale ! En effet, des compétitions avaient été annulées à cause du Covid. Mais oui, c’est mon premier titre et quelle fierté ! J’ai eu aussi un peu de réussite, un effet d’opportunisme, car la championne de France sortante était mobilisée sur les championnats d’Europe, c’est aussi ça le sport, savoir saisir les bonnes occasions et être là au bon moment.
Quelle était l’ambiance dans le groupe lors de cette compétition ?
Je suis partie en équipe réduite. Il y avait uniquement mon coach principal, du club Makoto, Loïc Barresi , et mon conjoint qui me sert de tierce personne et de mécanicien. C’est dommage d’être en effectif aussi réduit, en même un peu triste, en principe je suis beaucoup plus entourée, avec trois coachs L. Barresi, M. Jaime, J- C Volpi qui apportent chacun leurs visions et leur savoir-faire. C’est une victoire d’équipe, même si tout mon staff n’a pu être présent. Sans oublier mon préparateur physique (N. Pelerin), mes kinésitérapeutes (D. Agrini, Y-A Kouadio) mon masseur (C. Bouchet), et ma préparatrice mentale (V. Lemaire de Bressy), j’associe tout ce monde à ce titre.
Comment s’est déroulée la compétition ?
C’était un beau parcours. En finale, on a fait le pari de faire un kata que je connaissais bien et que je savais que je pourrais tenir au niveau de la sollicitation de mes membres supérieurs. Je ne sais pas si le kata parfait existe, mais j’ai fait le meilleur que je pouvais sortir donc, c’est belle réussite. J’ai réussi à rester concentrée malgré les problèmes mécaniques. Je me suis isolée dans ma bulle et c’était vraiment impressionnant avec les spectateurs. Certes, c’était plus difficile, mais aussi et surtout plus intéressant. Ce qui m’a sauvé́ c’est ma connaissance du haut niveau avec mon ancienne carrière, car nous avons eu pas mal de remous sur l’organisation, mais c’est une grande fierté, car on se dit qu’on a sorti le kata qu’il fallait quand il fallait.
Que représente cette médaille pour vous ?
Une énorme joie et beaucoup d’euphorie. L’histoire de cette médaille, remonte à presque 40 ans… À l’âge de 7 ans, je me suis pointée à un club de kung-fu en disant que je voulais essayer, et là, on m’a répondu qu’en fauteuil roulant, on ne pouvait pas pratiquer d’arts martiaux. C’est donc une belle revanche. Quand il y a quatre ans, je suis revenue pousser la porte du club Makoto , qui n’avait jamais vu de pratiquant en fauteuil et qu’ils ont accepté de m’entrainer, c’était un sacré pari. Aujourd’hui concrétiser ce pari avec ce titre, c’est juste la folie douce. Même si c’est un titre « modeste » par rapport à mes médailles en natation, c’est sûrement lé titre le plus fort de ma carrière. J’ai fait un rêve impossible, j’ai emmené des gens dans ce rêve impossible et on l’a fait !
Vous étiez donc avant cette médaille, une championne de natation, pourquoi avoir changé de sport ?
Je me suis arrêtée en 2011 à la naissance de mon fils, mais j’avais arrêté le haut niveau en 1996 après les Jeux Olympiques. J’ai arrêté tout simplement parce que ça use et qu’il y avait un problème de classification, j’ai nagé avec des gens moins handicapés que moi, c’était compliqué. Et il fallait aussi que je termine mes études.
Comment analysez-vous l’évolution du sport pour personnes en situation de handicap depuis que vous le pratiquez à haut niveau ?
Il y a une évolution folle pour les disciplines paralympiques puisqu’il n’y avait pas de médiatisation quand j’étais aux Jeux paralympiques en 1992, c’était confidentiel et amateur. Maintenant, les sportifs paralympiques, c’est quasiment du sport pro, ils ne font plus que ça. Ils ont tous des CIP (dispositif d’aide aux sportifs de haut niveau), donc c’est significatif de l’avancée qu’il y a eu. On attend aussi beaucoup des Jeux Olympiques à Paris en 2024, qui peuvent mettre un grand coup d’accélérateur. Malheureusement le para karaté n’est pas paralympique et le développement de la pratique est récente. La professionnalisation ne touche pas encore le para karaté. Nous manquons encore énormément de moyens. Du coup, je ne peux pas tenter des compétitions à l’étranger ou faire évoluer mon matériel pour être encore plus performante. De plus, il faut noter qu’une pratique en fauteuil roulant revient plus cher à cause du matériel, mais aussi de la présence indispensable d’une tierce personne pour les actes du quotidien. Nous espérons que ce titre nous donnera de la visibilité et un peu plus de moyens pour progresser encore.